Léo Ferré
Coriolan
La violence surgit parfois là où on ne l'attend pas ;
c'est précisément ce que découvrira, non sans dépit,
Léo Ferré dans les années qui suivront 68.
Alors même que le succès est au rendez-vous après l'effet
tunnel provoqué par la mode des yé-yé,
alors que le tragique de sa vie privée tend à se dissiper.
Les concerts de Ferré sentent la poudre,
aux abords des théâtres des bandes forcent les contrôles,
font irruption dans la salle, invectivent le poète,
l'interrompent et l'agressent parfois même physiquement.
.../...
Au début des années 1970, est-ce à la demande de Michel Lancelot,
sur les conseils de Maurice Frot ou
de sa propre initiative,
toujours est-il que Léo accablé par la situation et devant l'ampleur
et l'aspect répétitif
des agressions décide de s'adresser publiquement à son public par voie radiophonique.
"Campus" sur Europe 1, la radio périphérique la plus écoutée de l'époque,
lui ouvre les micros.
Cette émission d'une vingtaine de minutes constitue un document rare ;
il semble en effet que la bande ait été
égarée par la station.
Par chance j'avais à l'époque enregistré l'interview sur un matériel qui prêterait à sourire
aujourd'hui, cependant la bande bien que nasillarde et ancienne a été retrouvée.
La retranscription littérale
de l'interview (entrecoupée de chansons)
ne peut évidemment traduire l'émotion du direct, l'agitation du poète
( par moment la voix se casse, les mots se bousculent) et le plaisir du son.
C'est en tout cas un difficile exercice auquel se prête l'artiste
entre explication,
mise au point, appel au calme
et tentative de justification, mise au point,
appel au calme et tentative de justification.
Léo a tant de choses à
dire, la situation est si injuste et le temps s'écoule si vite...
Le lecteur appréciera ce document qui date de près
de trente ans comme une pincée de l'air du temps...
d'une "époque épique".
Une émission de Michel Lancelot
( Ces extraits sont tirés de l'article paru
dans les "Cahiers Léo Ferré" N° 2 Words...Words...Words
où l'émission y est retranscrite intégralement)
Michel Lancelot :
Il y a des chanteurs, c'est assez bizarre d'ailleurs,
ceux-là même qui sont la plupart du temps le plus engagé
dans certaines idées, certains mouvements et certaines démarches
et qui éprouvent aujourd'hui des difficultés
avec, ce sont de petites minorités dans les publics de France,
de province et d'ailleurs, je voudrais d'abord
que tu me parles un peu tout d'abord de ce qui t'es arrivé à plusieurs reprises, toi Léo Ferré.
léo Ferré :
Oui d'abord je voudrais dire, je voudrais parler d'une façon,
comment dirai-je très calme. Je ne voudrai pas
que ça devienne une plainte de ma part, mon problème
ce n'est pas tellement important pour ce que je vais
dire. Evidemment il s'agit de moi dans l'histoire,
mais je voudrais dire aux jeunes qui m'écoutent, si tu permets,
je vais leur parler.
Mais les jeunes on vous couillonne en ce moment par des fausses parallèles,
par des organisations parallèles avec
quoi ?
Avec des flics à cheveux longs et avec des journaux
qui se font passer pour des journaux gauchistes, et
alors j'en viens, je fais une parenthèse,
je vais parler de quelque chose qui me concerne directement, des endroits
où comme à Poitiers j'ai été interrompu d'une façon violente l'autre jour, on m'a coupé le micro.
Michel Lancelot :
Il faut dire d'ailleurs à ce propos qu'on a reçu des lettres qui justement se plaignaient,
demandaient qu'on fasse
quelque chose dans Campus pour au moins expliquer cette histoire.
L. F. :
Il y avait huit ou dix petits mecs comme ça
avec des filles qui étaient avec des cagoules et les filles étaient voilées ;
qu'est-ce que c'est que cette mythologie du Ku Klux Klan, tu trouves pas ça étonnant toi ?
Moi je me suis jamais
voilé la face pour dire merde à quelqu'un.
Ce qu'il y a aussi de particulier à dire, c'est aussi que les autres,
les gensqui sont là, il y avait deux mille personnes peut-être ou
quinze cents, ne disent rien. Je parlais des journaux tout à
l'heure et il y a un journal qui s'appelle l'Idiot international
dans lequel il y a, comme on dit carrément, un appel au
meurtre contre moi quoi, où on me traite de crapule,
y en a assez, Ferré a les cheveux longs, il ne suffit pas d'avoir
les cheveux longs pour faire la révolution.
Or moi j'ai les cheveux longs parce que, je l'ai dit à un jeune
l'autre jour et qui s'imaginait que j'avais les cheveux longs exprès
pour ressembler aux jeunes et pour faire passer ma camelote,
n'est-ce pas, il faut dire les choses comme elles sont
car si les gens croient que je vends hé bien je vends !
Remarque il vaut mieux vendre de l'anarchie
que de vendre de la merde comme j'écoutais hier soir
à l'Eurovision c'est plus noble, de toute façon.
Et ce jeune m'a dit pourquoi tu as les cheveux longs ?
j'ai dit " j'ai les cheveux longs parce que quand j'étais petit,
mon père me les faisait toujours couper,
je voulais avoir les cheveux longs
et maintenant tout le monde a les cheveux longs,
alors ça me plaît, j'en profite pour les avoir aussi".
.../...
Mais je voulais dire quelque chose parce que la plupart des jeunes, moi,
j'ai beaucoup de sympathie pour eux et
ils me démontrent beaucoup de sympathie aussi, des foules de jeunes,
je les aime beaucoup ; mais quand je parle
des jeunes cons, évidemment c'est toujours la minorité,
des gens qui peut-être ne sont pas tous des petits cons ou
des salopards mais qui sont manipulés, voilà, c'est ça le mot que je cherchais
tout à l'heure, les jeunes qui viennent
m'emmerder, ce sont des gens manipulés par qui, par quoi,
je n'en sais rien ; d'autre part ils rentrent à l'oeil, ce qui
est moche, c'est qu'ils rentrent à l'oeil avec, comment dirais-je,
avec l'idée de venir, de forcer les barrages de
contrôle.
Quand des gens viennent me demander de rentrer,
je les fais rentrer moi dans le théâtre, surtout que les théâtres ne
sont pas toujours pleins, il y a toujours des places.
.../...
M.L. :
Tu as d'autres choses à me dire, c'est terminé ?
L.F. :
J'aurais des choses à dire, parce que je suis très peiné de cette histoire,
je ne peux pas supporter que les gens
m'en veuillent pour une chose...
enfin ils se trompent tellement à mon égard, c'est tout.
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