CET HOMME QUI CHANTE TANT DE CHOSES
Arrêtez dix personnes au hasard d'une rue de Nevers, de Paris ou
d'ailleurs.
Neuf sur dix ... pour rester vague, connaissent Léo Ferré.
"C'est cet homme qui chante tant de choses avec cette voix formidable."
C'est la réponse d'une homme gris interrogé au fond d'une
banlieue grise de la région parisienne.
Tout le monde connaît Ferré : cette voix comme une lame de
fond qui, de tumulte en douceur, se lève, s'enroule et se brise
sur "tant" de chansons venues de toutes les régions de
son empire.
Ni Verlaine ni Baudelaire, ni gris ni vert, ni ange ni démon mais
pourtant frère du premier, frère du second, il est fils
d'Ostende et fils de Marseille, il est ange sur les traces tendres des
gens de bien, il est démon sur les pas traîtres de ceux qui
enveniment le monde.
Chien errant, objecteur de conscience, prophète même en son
pays, voyou et poète, chef de famille - la famille de ceux des
grandes misères-, révolutionnaire de naissance, magicien
des images et du temps qui s'écoule :
Léo Ferré.
C'est parce qu'il est tout cela, l'âme kaleidoscopique de ses semblables,
que ses semblables ont besoin de lui. Pour qu'il retrace pour eux la ligne
incomparable des rêves qu'ils rêvent mais qu'ils sont, eux,
impuissants à
retracer. Le cadeau qu'il leur fait, plus que lui-même, c'est eux
à l'infini.
"Cet homme qui chante tant de choses" et pour tant de gens et
depuis si longtemps, s'est pourtant fait rare dans ce fichu pays de France.
Pendant des années, il fallait faire bouger les montagnes pour
le sortir de ses hautes tours.
Il chantait bien sûr, et souvent, et ceci ou là, mais comme
coincé par le destin.
Parce que l'organisation, oh! horreur, passait la bride à son itinérante
bohème,
sauf "Bobino".
Il y a là comme une fidélité. La preuve.
Nadine LAIK
(Extrait du programme de Bobino 69)